Le corps d’un instrumentiste est sollicité dès le plus jeune âge et parfois bien au-delà de celui de la retraite. Même pour ceux qui arrêtent leur carrière à 65 ans, cela signifie que leur corps est en jeu au moins pendant plus de cinquante ans, ce qui n’est jamais le cas d’un sportif professionnel. Il est donc vital de comprendre comment ce corps fonctionne, dans la pratique de l’instrument, dès l’apprentissage et tout au long de l’évolution de notre corps d’adulte.
Marc-Olivier Dupin, musicien compositeur
Présentation – La main au service du musicien
L’ostéopathie nous apprend à faire de nos mains un outil de réflexion, de recherche et de pensée par le développement progressif de la finesse palpatoire; à visée diagnostique, thérapeutique et intellectuelle.
Il est fondamental dans notre pratique d’envisager le corps et ses dysfonctions au centre d’un fonctionnement propre à l’individu. Ainsi, on cherchera à connaître le milieu d’évolution, la profession, l’activité du patient. Au sortir de répétitions interminables, de concerts ou de séances d’exercices acharnés, tout musicien aura ressenti au cours de sa pratique des douleurs ou gênes liées à l’utilisation intense de son instrument. La prise en charge de l’instrumentiste nécessitera le même degré de proximité et de connaissance que celle d’un sportif de haut niveau.
La force de l’intention, de l’investissement et du ressenti fait la beauté et la grâce du jeu.
La position de l’instrumentiste lors du jeu – 1er objet d’étude dans la compréhension du musicien
Au début des premiers apprentissages pratiques de la musique, le musicien est confronté à son ignorance, son inexpérience. Spontanément, il adopte la position qui lui paraît la plus confortable. Néanmoins si il ne tient pas compte des recommandations, son efficacité diminue. La pédagogie moderne dans l’éducation musicale utilise le concept de « positions de référence » comme socle nécessaire à la réussite. Le travail et la persévérance s’avèrent indispensables, l’aisance vient ensuite, la crispation diminue par l’appropriation de ce que l’on sait désormais manier: ce n’est plus un labeur, cela devient une compétence dans le jeu, dans la pratique.
La pratique d’un instrument de musique suppose nécessairement une position de référence. Un point positif, elle permet de ne pas être limité dans son jeu en prenant de mauvaises habitudes. Le revers de ce constat se trouve dans l’inadaptabilité de cette position qui ne prend pas en compte les différences morphologiques des instrumentistes.
Lorsqu’on prend en main un instrument pour la première fois, apparaissent souvent et spontanément plusieurs vices posturaux qui sont la cause et la conséquence d’une crispation globale due à l’inexpérience. Certains instruments comme la contrebasse, le saxophone ou certaines percussions peuvent être imposants, lourds et nécessitent une position de jeu parfois asymétrique ainsi qu’une répartition inhomogène des contraintes s’exerçant sur le corps de l’instrumentiste. Au même titre que n’importe quelle activité physique, la pratique régulière d’un instrument provoquera l’accumulation de dysfonctions. En effet, pour gagner une attitude globalement détendue, l’instrument doit être maintenu fermement, tant les mouvements exercés par les mains peuvent être fins et précis. Le respect de la position naturelle (de référence) est donc censé améliorer les performances de l’instrumentiste en préservant l’équilibre physiologique de son corps.
L’ostéopathe aura à cœur d’élaborer un axe de traitement qui sera nécessairement différent pour chaque instrumentiste et chaque instrument.
Posture et gestuelle, l’importance du mouvement dans la quête de virtuosité
Une bonne position alliée à la participation globale des membres et des ceintures, permet de soulager le corps des efforts de préhension et des contraintes liées à la gestion du souffle dans le cas des instruments à vent.
Les douleurs liées à une mauvaise gestuelle ou posture apparaissent généralement après de longues séances de travail. Le musicien continuant de jouer en quête de progrès, dysfonctions et pathologies peuvent survenir. Les premières douleurs sont donc souvent ignorées et la consultation est retardée par rapport à la survenue des troubles. Ce « déni » amène progressivement à la constitution de pathologies de plus en plus gênantes, voire graves, pour la carrière du musicien. Les positions prolongées inadéquates vont provoquer des dysfonctions articulaires, musculaires, digestives et vont être à l’origine de la mise en place de compensations à distance, et de douleurs. Le mieux jouer passe donc par le mieux être.
Pour ce faire, les deux membres supérieurs doivent travailler en parfaite coordination au service d’un résultat sonore optimal. Dans le cas de certains instruments comme le piano ou la harpe classique, les membres inférieurs sont eux aussi sollicités. Il ne faut jamais négliger le fait qu’une dysfonction au niveau d’une main ou d’une épaule mettra l’ensemble de la biomécanique des deux membres supérieurs en déséquilibre.
Un modèle qui ne peut prendre sens que si le musicien adopte une attitude la plus dynamique possible et une gestion de la respiration régulière, précise et maîtrisée. Il n’existe pas de posture type à imposer véritablement mais plutôt une position de référence dont l’instrumentiste doit s’approcher en prenant sa propre morphologie en compte. L’ostéopathe est particulièrement à même de comprendre cette partie du problème par ses connaissances en anatomie et en physiologie.
Une bonne position corporelle est en partie définie par la capacité d’en changer avec aisance et rapidité. Tout ce qui est statique doit supporter le dynamisme.
Les troubles musculo-squelettiques, une limite pour le musicien
Les troubles musculo-squelettiques se manifestent par une douleur mécanique pour le sujet, généralement reproductible au jeu : l’instrumentiste sera limité dans la qualité de sa gestuelle et dans la durée de jeu possible. Un déséquilibre entre les sollicitations biomécaniques et les capacités fonctionnelles de l’opérateur entraîne l’apparition de troubles des membres supérieurs. Ces capacités diffèrent selon de nombreux facteurs extrinsèques influençant directement l’étude des dysfonctions inhérentes à la pratique du violoncelle:
- L’hygiène de vie (tabac, alcool, café, alimentation inadaptée, manque de sommeil, surmenage …)
- La pratique ou non de sport
- Le passé traumatique physique et psychique
- L’état psychologique du patient
- Les différences de coordination motrice
- L’unicité morphologique et physiologique de chaque instrumentiste.
Lorsque les sollicitations biomécaniques sont trop importantes, les structures musculo-tendineuses sont sur-sollicitées et un risque de troubles des membres supérieurs apparaît.
Ces troubles n’apparaissent pas systématiquement au moment de la pratique instrumentale. Ils peuvent également survenir à la suite d’activités de sport, de loisir ou dans le cas de certaines maladies. La survenue d’un trouble des membres supérieurs est irréductiblement la conséquence d’une diversité de facteurs de risque. Il est donc primordial pour nous ostéopathes de privilégier un interrogatoire conséquent pour comprendre au mieux le mécanisme dysfonctionnel ou lésionnel du patient.
Symptômes les plus courants rencontrés par les musiciens lors de leur pratique
- Rachialgies chroniques
- Rhumatismes aigus ou chroniques
- Fatigabilité du membre supérieur et perte de force de préhension au niveau des doigts, ou encore paresthésies : sensations de picotements, fourmillements, brûlures ou trajets électriques ressentis dans les membres
- Syndrome vasomoteurs : extrémités froides pouvant s’associer à une décoloration bleuâtre
- Bras douloureux et œdémateux
- Douleurs thoraciques et intercostales pour les instrumentistes à vent
- Douleurs viscérales et signes fonctionnels associés (diarrhées, constipations, ballonnements, reflux gastro oesophagiens)
- Il convient de souligner l’importance de l’équilibre des courbures rachidiennes entre les appuis et le poids de la tête dans notre réflexion.
- Crispation, stress, trac, énervement lors des répétitions d’exercices peuvent avoir des répercussions notables sur l’état de tension global du rachis : une sorte de whiplash du musicien. L’ostéopathe aura à coeur de tester l’état de tension dure-mérienne et d’évaluer les répercussions que celui-ci peut avoir sur la qualité du jeu.
L’ostéopathie, un traitement naturel pour la prise en charge du musicien
L’ostéopathie est particulièrement intéressante pour assurer un confort de jeu optimal qui passera forcément par la compréhension des mécanismes et des déséquilibres posturaux qu’implique sa pratique. D’un geste à l’autre : du geste du musicien qui déséquilibre le corps au geste réparateur du praticien qui lui redonne la possibilité de mieux jouer. L’ostéopathe prenant le corps du patient comme ancrage redonne de la vitalité aux tissus qu’il travaille en réanimant ce qui tendait vers l’inertie, il donne une finalité au regain de la fonction perdue: la musique !
Le musicien, s’il se surmène dans son exercice accumulera de plus en plus de dysfonctions qui l’handicaperont dans la maîtrise de son art. Trop souvent l’aspect « sportif » des musiciens est oublié au profit bien évident de l’aspect « artistique ». Mais pour que le musicien puisse jouer longtemps, il doit prendre en compte les douleurs qu’il ressent et doit rapidement mettre en place une prévention adaptée à sa pratique. L’ostéopathie s’inscrit particulièrement bien dans ce cadre par sa vision globale du corps humain et de ses mécanismes.
Conclusion
On peut ainsi penser que la pratique intensive d’un instrument de musique, dans une relative bonne santé fonctionnelle et structurelle, nécessitera un suivi ostéopathique. Il s’agira de sensibiliser l’artiste à l’interdépendance entre sa santé et ses performances instrumentales pour le rendre acteur de son propre bien-être.
Le musicien donne à son instrument la seule chose qui lui manque pour s’animer : du mouvement, de l’interaction. En le complétant de ses bras et de ses mains, il l’humanise, le vitalise ; lui donnant une âme, un souffle. Le musicien n’est, dès lors, qu’à travers son instrument, qui lui-même ne saurait prendre vie sans la prise en main de son interprète.
L’instrument de musique apparaît alors comme un prolongement du musicien, un membre supplémentaire ayant une fonction, des possibilités, des limites. L’ostéopathe adoptant cette vision pourra ainsi mieux comprendre le musicien.
Présentation de l’auteur
Téo Durantel Ostéopathe DO diplômé de l’institut Dauphine d’ostéopathie.
J’ai toujours voulu consacrer une partie de mon travail, de mes recherches aux instruments de musique, tout particulièrement au violoncelle et aux troubles que son exercice suppose, en connaissance de cause. J’ai la chance, dans mon jeune exercice d’ostéopathe, de traiter des instrumentistes amateurs et professionnels. Mon investissement grandit sans cesse tant les plaintes sont nombreuses et d’un grand intérêt fonctionnel et structurel. En tant que musicien et ostéopathe, il m’est cher de conjuguer ces deux passions et d’orienter ma pratique et mes réflexions vers leur mise en relation.
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